Article n° 15, publié le 18-Février-2012, par Christophe.
Catégorie(s) : science & culture.
Je crois que je vais parler de science-fiction pour certains, car je vais parler de documentaires, c'est-à-dire des émissions qui passent sur France 5 et où il n'y a pas à voter, par SMS au 36 15, 1 pour éliminer le gnou ou 2 pour éliminer le zèbre. Je sais, le choc est violent ! Je vous laisse donc le temps de reprendre votre souffle après cette terrible révélation : il y des chaînes de télé en dehors de TF1 et M6 et celles-ci ne passent pas de téléréalités ! Mais j'ai aussi une seconde révélation : tous ces documentaires racontent une histoire en mettant en scène la réalité ! Grâce à cette histoire, le cinéaste peut vendre ce documentaire auprès des diffuseurs qui cherchent à leur tour à vendre des espaces publicitaires à des annonceurs qui cherchent à vendre un produit aux téléspectateurs. Si l'histoire est banale, pas de téléspectateurs, pas d'annonceurs, pas de diffuseurs. Et s'il faut que ce soit plus vendeur, certains n'hésitent pas à travestir la réalité ! J'espère que tout le monde s'en doute, mais j'aime bien enfoncer les portes ouvertes.
«Ushuaïa Nature» ou «Opération Okavango», ça vous dit quand même quelque chose ? Tout le monde connaît ou presque puisque ça passait sur TF1. Quand je disais que je n'avais pas regardé la dernière émission, moi le «globe trotter de service», j'avais alors une levée de boucliers. Je ne conteste pas la qualité des images rapportées par les équipes techniques de l'émission, elles sont fabuleuses. Le principal souci vient du montage et de la voix off qui racontent une histoire où souvent Nicolas Hulot est décrit comme un surhomme, plus fort qu'Astérix gavé de potion magique et qu'Indiana Jones réunis (avec en plus, le cerveau d'Albert Einstein). J'ai deux exemples en tête, assez révélateurs de cette mise en scène :
• Le meilleur exemple : l'émission «Ushuaïa nature» qui a été tournée en Bolivie. Le montage et la voix off me donnent la nette impression que notre surhomme à la coupe au bol, part le matin, pour traverser à pied le «Salar de Uyuni» (150 km de randonnée à 3.600 m d'altitude). Il arrive alors au pied du Licancabur (il y a environ 80 km entre le salar et ce volcan, une paille après 150 km de salar) et dans la foulée, il entreprend l'ascension du volcan (environ 4.000 mètres au pied du volcan, 5.900 m au sommet). Comme il est monté avec le matériel de plongée sur le dos, il l'utilise alors pour une plongée sous glace dans le lac sommitale du volcan. Ensuite, à peine abandonne-t-il sa bouteille de plongée, qu'il s'harnache déjà à un parapente pour redescendre du volcan avec le soleil couchant. Il fait tout ça en une journée ! J'ai revu l'émission pour être certain de ce que j'avance : le montage et la voix off me donnent toujours la même impression.
• Deuxième exemple, moins flagrant car la voix off n'est pas trompeuse, mais le montage est fait pour faire croire que tout sourit à Nicolas Hulot. Il s'agit de l'émission en Afrique Australe, toute à la fin de l'émission, ils sont à la recherche des lions des sables en Namibie, qu'ils ne trouveront pas en présence de Nicolas Hulot (les animaux sauvages n'ont pas de smartphone pour enregistrer leurs rendez-vous). Mais cela n'a pas empêché les monteurs de choisir une séquence où l'on voit Nicolas Hulot à plat ventre sur le sable, jumelles à la main, suivie d'une séquence d'assez mauvaise qualité (par manque de lumière) avec un lion. En voyant ces images juxtaposées, notre imagination fait le lien : Nicolas Hulot est bien en train d'observer un lion aux jumelles !
Il faut savoir que l'équipe technique d'Ushuaïa part en repérage bien avant, pour tourner toutes les séquences sans Nicolas Hulot qui ne vient sur le tournage que pour une période de temps limitée. Cela est tout à fait logique : il doit gérer sa boîte de production, trouver des financements et des partenaires pour les tournages, le moyen de la faire diffuser en prime time (sa principale qualité) et il ne peut pas être constamment sur le terrain. Une fois qu'il est sur place, il n'a pas le temps de traverser à pied tout le «Salar de Uyuni» ou de retrouver les quelques rares lions de sables. Alors, pourquoi jouer avec les mots et les images ? Parce que voir Nicolas Hulot s'envoyer en l'air avec des paramoteurs (et se demander quand il allait se vautrer), c'était ça qui était vendeur. S'il n'y avait eu que des images de lions des sables ou de cristaux de sel du salar, pas sûr que l'émission ait été diffusée en prime time.
Petit aparté : notre médiatique défenseur de l'environnement était loin d'être «Mr Zéro CO2» se déplaçant à la seule force de ses muscles. A l'époque d'«Opération Okavango», Nicolas Hulot volait à bord d'un hydravion de la seconde guerre mondiale, un «Catalina» : chacun des deux moteurs consomment grosso modo 250 litres de carburant à l'heure. Quant aux amerrissages sur l'océan indien ou les lacs salés de la région du rift en Afrique de l'Est (région désertique où l'eau douce manque) : pour préserver l'hydravion (l'eau salée est très corrosive, même pour la structure en aluminium d'un hydravion), celui-ci a certainement du être rincé (abondamment) à l'eau douce après les amerrissages.
France 2 réalise de bons scores médiatiques avec l'émission «Rendez-vous en terre inconnue». C'est bien fait, très intéressant malgré le côté «people». Pour faire de l'audience, l'émission joue un peu sur le côté voyeur des téléspectateurs dans les bandes annonces : mais comment Muriel Robin va faire «popo» chez Himbas ? Heureusement, le contenu de l'émission met en avant la découverte des us et coutumes de ces ethnies par les invités. Même s'ils vont à la rencontre d'ethnies (très) isolées, il faut savoir qu'il est tout à fait possible de faire des rencontres toutes aussi extraordinaires partout dans le monde. Ce ne sera peut-être pas avec les lolos noirs mais il est tout à fait possible d'aller dormir chez d'autres minorités du nord Viêt Nam, toutes aussi intéressantes. Nous l'avons fait et c'était extraordinaire. Les émissions de Frédéric Lopez nous rappellent souvent de très bons souvenirs : c'était bien comme ça quand on a visité ce pays ! «Rendez-vous en terre inconnue» ne semble pas déformer trop la réalité, malgré les montages nécessaires pour couper, entre autres, les traductions des interprètes.
Autre émission : «J'irais dormir chez vous» d'Antoine de Maximy. Le reporter-caméraman-acteur n'a pas de gros moyens techniques et il n'a aucune équipe pour lui repérer le voyage, ce qui permet de préserver la spontanéité des rencontres. Je trouve que son émission est très intéressante car lorsqu'on voyage en individuel, on va avoir des relations souvent commerciales, parfois amicales, avec l'autochtone. Je crois qu'en regardant cette émission, on peut avoir une bonne idée sur quoi s'attendre, même si Antoine de Maximy a une facilité déconcertante pour rencontrer des gens, facilité que nous n'avons pas. Et même si forcément, il montre les rencontres les plus insolites qui ne reflètent pas forcément le pays.
France 5 diffuse «Fourchette et sac à dos» : c'est peut-être parce que nous sommes gourmands, mais nous trouvons cette émission plutôt bien faite car elle reflète bien la réalité d'un pays, via la lorgnette de la gastronomie. La présentatrice a été capable de manger une barre chocolatée passée à l'huile bouillante : bel effort pour ne louper aucun aspect de la «gastronomie» écossaise, alors qu'elle aurait pu se contenter des coquilles St Jacques au whisky.
Autre émission de France 5 : «Echappées belles». Même si elle diffuse des reportages plutôt intéressants entre les séquences avec la présentatrice (ou le présentateur), c'est un peu dommage que ça ressemble souvent à un documentaire commercial sur les établissements de luxe du pays visité. Par exemple, je trouve un peu réducteur de mettre en avant les bungalows sur pilotis des hôtels de luxe aux Maldives alors que les Maldives, ce sont d'abord les atolls, les récifs de corail, les poissons, puis les touristes... C'est un sujet que «Thalassa» sait bien mieux couvrir, même si c'est à travers la longue vue du marin (mais d'un côté, nous sommes plongeurs donc sensibles aux «affaires maritimes»). Au passage, on peut citer une autre émission de Georges Pernoud qui passe sur France 3 : «Faut pas rêver !». Au moins par la diversité des reportages diffusés dans cette émission, il est peut-être possible de se faire une idée plus concrète sur un pays.
Je parle de documentaires sur les pays étrangers mais ces étrangers voient aussi des reportages sur la France et ce n'est parfois pas très mirobolant. Si on en croit l'image de la France que «TV5 Monde» diffuse à travers le mode, nous sommes tous (très) riches, nous habitons des châteaux dominant d'immenses exploitations viticoles, nous avons un «Range Rover» pour faire le tour de l'exploitation et une «Jaguar» pour aller en ville ! Bien évidemment, c'est une image très déformée mais logique car aucun reportage ne va être tourné sur vous ou moi : derrière un écran d'ordinateur 8 heures par jour, je ne vais pas passionner les foules. Par contre, le propriétaire d'un château grand cru a intérêt de passer dans un documentaire sur la gastronomie française (ce qui intéresse les étrangers), pour promouvoir son vin. Au final, les Français que l'on voit dans les documentaires sur la France sont généralement des viticulteurs à la tête d'un grand domaine, CQFD !
En conclusion, c'est relativement difficile de se faire une idée sur un pays en regardant les documentaires à la télé : le Viêt Nam ne se limite pas à ses lolos noirs, les Maldives à ses bungalows sur pilotis, la Namibie à ses lions des sables... Par contre, tous ces documentaires ont le mérite d'ouvrir nos yeux sur le monde, par exemple, pour nous montrer que l'on peut tout à fait être heureux sans TV 3D, même s'il faut une télévision pour regarder l'émission et que les téléspectateurs de ce documentaire se sont pris avant une dose de publicité leur disant qu'ils seront plus heureux en achetant la dernière BMW. Par contre, après avoir vu les magnifiques images du Licancabur, ne prenez pas un billet d'avion pour un séjour de 3 jours en Bolivie afin de réaliser l'ascension du volcan ! J'ose espérer que personne ne l'a fait et qu'avant de partir, vous vous documentez sur la destination, vous achetez des guides de voyage, vous cherchez des informations sur internet, informations plus ou moins objectives, plus ou moins proches de la réalité. Cette déformation est normale car chacun a ses attentes, ses goûts, son interprétation et sa propre expérience. Par exemple, tout le monde ne s'ensable pas à 4.000 mètres d'altitude au Chili, mais vous pouvez tirer comme conclusion de notre malheureuse expérience que la conduite sur sable avec un 4X2 ne s'improvise pas.